La Flamme des Nephilims

Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque le réveil sonna pour la cinquième fois. Un grognement s'éleva dans la pièce encore plongée dans le noir total, avant que le bip strident de la machine ne se stoppe enfin. S'ensuivit une bonne minute de silence, interrompue par un profond soupir ponctué d'un bruit sourd. Un gémissement fut lâché, puis quelques pas furent entendus, avant que les rideaux ne s'ouvrent brutalement. La lumière inonda alors la pièce, laissant alors voir un immense bazar de tout et n'importe quoi.
Il y avait un petit lit une personne, dépourvu de couverture. Cette dernière était étalée au sol, comme tous les jours. Des vêtements en tout genre traînaient çà et là, tapissant le parquet de la chambre aux murs peints. Ils avaient été fais entièrement à la main, devenant une prairie verdoyante. Le plafond était d'une teinte bleu-noir, recouverte de milliers de petits points blancs, ainsi qu'une sphère parfaite.
Une grande femme aux cheveux mi-longs bruns se tenait au milieu de cette pièce bordélique, observant d'un oeil endormi le bazar qu'elle aurait dû ranger depuis un moment déjà. Dans son second soupir lassé depuis son réveil, elle ramassa quelques vêtements "propres", les enfilant dans des gestes fatigués, avant de sortir de sa chambre. D'un pas traînant, elle parcourut un long corridor aux murs beiges, débouchant alors sur une vaste pièce à vivre lumineuse.
Elle arriva, ne sachant pas trop comment, jusqu'à sa cuisine ouverte, attrapant un bol dans lequel elle versa le lait tout juste sorti du frigo.
Comme tous les matins, la femme aux cheveux bruns ne se rendait pas vraiment compte de ses actions, encore à moitié prisonnière du sommeil. Elle était comparable à un zombie, répétant des gestes qu'elle effectuait chaque jour.
Une sonnerie stridente -un peu comme son réveil- lui fit ouvrir les yeux. Voilà qu'elle dormait debout maintenant. Elle vint prendre le bol mit une minute plus tôt au micro-ondes, action dont elle n'avait même pas souvenir, avant d'ouvrir un placard et d'en sortir un pot de chocolat en poudre. Elle en mit une bonne cuillère dans son lait, avant de s'accroupir pour venir prendre un paquet de céréales, attrapant son bol avant de se diriger vers la petite table. Elle commença ainsi à déjeuner, se perdant dans ses pensées.
Ce fut l'emblématique musique de Jurassic Park qui la tira hors de son esprit. Elle se rendit alors compte qu'elle avait arrêté tout mouvement, et que cela avait eu pour effet de renverser sa cuillère de céréales sur elle.
La femme pesta, se levant brusquement, soudain bien réveillée, attrapant un mouchoir pour ainsi essayer de faire partir la tâche. Tout en faisant cette action vaine, elle vint prendre son téléphone, dans la poche de son manteau suspendu à l'entrée de sa maison.

«-Allo ? Chef Gaïane ? fit une voix au ton pressé.

-Anaïs ? Qu'est-ce que...

-Pas le temps de vous expliquer. Rue Vergniaud, entre le 15 et le 17.»

Et, sans laisser le temps à ladite Gaïane de répondre, la jeune femme au bout du fil raccrocha.
Elle resta sans réaction pendant quelques secondes, avant de ranger rapidement son téléphone là où elle l'avait pris. Soudainement plus que bien réveillée, elle courut jusqu'à sa chambre, attrapant des vêtements convenables pour travailler.
Parce qu'elle le savait, si sa lieutenante l'avait appelée en ce beau dimanche de février, ce n'était pas pour lui donner rendez-vous au restaurant du coin pour discuter entre copines -ce qu'elles étaient en dehors de leur travail.
Elle ressortit de la pièce, déjà mieux habillée que quelques minutes plus tôt, et attrapa son manteau à la volée, faisant de même avec ses clés.
Dehors, une Renault Mégane noire l'attendait, sagement garée dans l'allée.

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Le trajet qui aurait dû lui prendre presque une heure, Gaïane parvint à le faire en une bonne demi-heure, en allumant ses gyrophares et en dépassant quelque peu les limites de vitesses.
Elle n'eut aucun mal à trouver l'endroit exact que lui avait indiqué sa lieutenante, quelques voitures de police aux gyrophares allumés se trouvant devant, encore et toujours, une ruelle. Une petite équipe attendait devant l'entrée sombre, faisant les cent pas en regardant chaque voiture passées. Lorsque la voiture de Gaïane s'arrêta non loin d'eux, ils lui sautèrent littéralement tous dessus.

«-Avant que vous ne disiez un seul mot, rappelez-vous que l'on est  dimanche, et que je me suis réveillée il y a à peine une heure.»

Tous refermèrent instantanément leur bouche déjà ouverte, comprenant clairement le message. "Laissez-moi tranquille, je suis complètement éclatée".
Elle fit quelques pas vers la ruelle, observant un spectacle qu'elle commençait à -trop- connaître.

Spoiler:

Une paire d'ailes se déployer sur chaque côté de la victime, deux ailes rouge vif.
C'était loin d'être le meurtre le plus dégoutant qu'elle ait pu voir, il n'en restait pas moins atroce. Parce qu'elle savait quelque chose.
Le tueur qui faisait ça torturait ses victimes jusqu'au possible. La plupart des blessures avaient été infligées avant la mort, très sûrement.

«-L'Ange Déchu est passé par là...» ne put-elle pas s'empêcher de lâcher.

Voilà maintenant un peu plus d'un mois que la peur s'était emparée de Cymera. La nuit, plus personne n'osait mettre un pied dehors. Depuis la nuit de 2019 à 2020, une dizaine de corps avaient été retrouvés, sans vie, dans des conditions similaires. Dix personnes tuées, en à peine un mois. C'était du jamais vu dans le coin.
Il ne fallut pas bien longtemps pour déduire qu'un seul tueur était derrière ces meurtres. Et bien vite, un surnom fut trouvé : "L'Ange Déchu". Certains l'appelé "le Shinigami", soit "Dieu de la Mort". Mais le premier revenait bien plus souvent.
Gaïane se tourna vers Anaïs, dans une question muette, qu'elle avait arrêté de poser depuis bien longtemps.

«-Non, toujours aucune preuve. Rien. Nada. Il s'est encore volatilisé.»

La chef lâcha un grognement, avant de demander, cette fois à voix haute :

«-A-t-on identifié la victime ?

-Oui, John Arker, 24 ans.

-Il était trop jeune pour mourir...»

C'était la même chose à chaque fois. Des gens trop jeunes pour ne serait-ce qu'apercevoir la mort. Pourtant, ils ont dû la regarder dans les yeux, mais elle a gagné. Peu après le début des meurtres, un adolescent de 14 ans avait été retrouvé mort. Il faisait partie des meurtres les plus dégoutants de l'Ange Déchu. Plus ses victimes sont jeunes, plus il les torture.
Il était difficile d'imaginer comment un esprit humain pouvait trouver autant de tortures. Cette question avait été posée dans le journal. Une réponse était revenue assez souvent :

«Un humain ne peut pas être si cruel.»

Et pourtant... Pourtant, quelque chose sur cette planète, sur ce continent, dans ce pays, dans cette ville, était bien réel et traumatisait les habitants de Cymera, ville d'habitude d'un calme plat.

«-J'imagine que c'est inutile de rester ici pour chercher des preuves que nous ne trouverons pas...»

Gaïane poussa un profond soupir, avant de se retourner et de donner un violent coup de pied dans le mur. Elle ne sentit même pas la douleur qui irradia dans toute sa jambe, la rage agissant comme un antidouleur.
Elle n'en pouvait plus. Chaque jour, elle donnait toute son énergie à chercher qui pourrait être le tueur, comment il faisait pour disparaître telle de la fumée...
Mais  c'était toujours la même chose : elle ne dormait pas de la nuit, ne trouvait absolument rien, repartait de zéro après avoir imaginé une piste qui se révélait toujours fausse.
Sans prêter attention au petit groupe qui l'observait, elle retourna d'un pas lasse vers sa voiture. Gaïane s'arrêta devant, regardant d'un oeil absent la rue. Une ombre se dessina alors sur le bitume, attirant son attention. Ses yeux noisette se levèrent vers le ciel, où une forme sombre se détachait du fond bleu clair. "Un corbeau" se seraient dit beaucoup. Pourtant, sans savoir pourquoi, sûrement une voix intérieure -son instinct ? - lui fit infirmer cela. Ce n'était pas un simple oiseau. Cette chose n'était pas normale. Mais bien vite, la forme disparu de son champ de vision, et Gaïane secoua la tête.
Voilà qu'elle devenait folle maintenant. Une créature surnaturelle. Et puis quoi encore ?

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La femme était retournée chez elle, redevenant soudainement le corps fatigué de son réveil. Elle se laissa tomber dans son canapé, s'endormant presque instantanément.
Mais des coups portés à sa porte la réveillèrent brusquement. Poussant un grognement de mécontentement, elle se leva et alla ouvrir. Une jeune femme aux longs cheveux roux se tenait devant elle, son regard azur l'observant des pieds à la tête.

«-Un vrai zombie... fit-elle en entrant, sans même que Gaïane ne l'ait invité à le faire. Mais elle avait l'habitude, avec Anaïs.
-Je te signale que tu m'as sortis de ma routine, un dimanche, alors que je me réveillais à peine. J'ai le droit d'être complètement crevée.»

Son amie avait déjà posé son manteau, et était assise dans le canapé, ses yeux parcourant sa maison.

«-Je suis toujours jalouse de ta maison. Moi je dois me taper un vieil appart' dégueux, et des proprios' détestables.
-Je t'ai déjà dit que si tu voulais, tu pouvais venir habiter ici, fit Gaïane en la rejoignant.
-Et je t'ai déjà répondu que je ne voulais pas t'embêter.
-Alors arrête de te plaindre.»

La rousse imita grossièrement son amie, et toutes deux éclatèrent de rire.

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Plus loin dans les rues de cette grande ville, dans un bâtiment abandonné, plusieurs battements d'ailes se firent entendre, puis une masse tomba au sol. Un corps humain, mais recouvert d'écailles partant du violet foncé jusqu'au noir profond, en passant par le bleu, se releva, une paire d'ailes noirâtres se déployant dans son dos. Quelques plumes virevoltèrent un instant dans les airs, avant de se poser sur le sol boueux. Son pas lent et sourd résonna entre les murs à moitié détruits, alors que la chose se déplaçait jusqu'à un coin de la bâtisse encore préservé de la saleté extérieure. La créature se recroquevilla dans ce coin, devenant une masse sombre, avant que les écailles ne disparaissent une par une, se faisant envelopper dans une peau bien humaine. Les deux ailes se replièrent doucement, dans des craquements horribles, devenant un immense tatouage à relief dans le dos de la chose, qui maintenant semblait avoir pris une apparence humaine. De longs cheveux ébène recouvraient son corps dénudé, et ses yeux violets balayèrent brusquement le bâtiment vide. Puis elle se leva -en effet, quel que que soit le sexe possible de cette créature, elle avait pris la forme d'un corps féminin- et marcha tranquillement jusqu'à un petit tas de tissus. Elle en sortit des sous-vêtements féminins, un haut à manches longues ainsi qu'un long manteau, attrapant un jean à trous pour le bas.
À peine quelques minutes plus tard, une jeune femme sortait du vieux bâtiment, sifflotant tranquillement l'air d'une chanson inconnue, s'enfonçant dans les rues de Cymera, avec pour seul but de rentrer chez elle.